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Publié par Librairie Et Caetera 33830 Belin-Béliet

LES COLLECTIONS DE ROMANS À BON MARCHÉ

I. — MODERN-BIBLIOTHÈQUE

1° APERÇU GÉNÉRAL

On dit qu’il y a une « crise du roman » ; les volumes jaunes à 3,50 trouvent plus difficilement acheteur. Il n’y aurait vraiment pas grand malheur, si on pouvait voir dans cette crise l’indice du dégoût du public pour les histoires d’amour plus ou moins honnête, tant de fois ressassées, mais ce n’est pas seulement vers des lectures plus sérieuses, — histoire ou sciences, — que se porte la clientèle récalcitrante, c’est surtout vers les romans des collections à bon marché.

M. Arthème Fayard, déjà éditeur de livraisons vulgaires, a eu, au début de 1904, l’idée géniale (commercialement parlant) de lancer sur le marché littéraire des volumes de format commode et imprimés sur papier couché, ce qui donne tout de suite aux illustrations un cachet séduisant ; car les romans de la Modern-bibliothèque n’ont pas seulement l’avantage de coûter trois fois moins cher que leurs congénères, 0,95 exactement, ils sont encore illustrés abondamment et, souvent, avec un réel souci d’art et de distinction.
Mais, à ce prix-là, l’éditeur nous offre sans doute une banale histoire signée d’un nom quelconque ?
Pas du tout, vous aurez le plus ordinairement l’œuvre déjà éditée d’un auteur dont la réputation est solidement assise.
Paul Bourget ouvrit la série avec Cruelle énigme ; Flirt de Paul Hervieu était annoncé pour le mois suivant. Des noms si universellement connus emportèrent le succès qui fut immédiat et durable ; les bibliothèques des gares, les kiosques, les librairies sérieuses même, virent leurs étalages envahis par ces rééditions à la fois élégantes et populaires.
La meilleure preuve de la vogue d’un produit, c’est son imitation. Elle ne manque pas à la Modern-bibliothèque. Les maisons Calmann-Lévy et Laffite, celle-ci tout récemment, emboîtèrent le pas et éditèrent des volumes identiques de prix, d’aspect et de tenue littéraire ; il est même difficile de distinguer au premier coup d’œil ces trois collections.

Mais, me direz-vous, c’est assez parler de l’habillement sous lequel ces romans se présentent au public, voire de leur mérite littéraire ; ce qui nous importe avant tout, c’est de connaître leur valeur morale.
Hélas ! Cher lecteur, je dois vous avouer qu’il me faut changer de ton et clore brusquement mon panégyrique.
Défiez-vous beaucoup de ces dehors séduisants. Le poison, pour être contenu dans un flacon de cristal finement taillé, n’en est pas moins dangereux. La Modern-bibliothèque, la plus importante des trois que j’ai citées, est aussi la plus sujette à caution. Paul Bourget, Paul Hervieu, André Theuriet, les « têtes de liste », s’ils sont loin d’être accessibles à tous, ne sont cependant pas des malfaiteurs littéraires. Mais attendez un peu. L’apparition du quatrième volume vint dévoiler le fâcheux éclectisme dont l’éditeur fait preuve dans ses choix. Je veux parler de L’Abbé Jules d’Octave Mirbeau, un pamphlet ordurier et grossièrement anticlérical. Depuis, Henri Lavedan et Abel Hermant nous donnèrent leurs études du monde qui fait la « fête », Marcel Prévost ses sensuelles et troublantes « histoires de femmes », selon le mot d’Ernest-Charles, Pierre Louÿs ses reconstitutions de la vie païenne avec sa foncière immoralité.
Ce premier aperçu suffira à édifier votre jugement. Le lecteur prudent ne peut donc pas puiser au hasard dans cette collection ; cependant tous les volumes ne doivent pas être interdits en bloc aux personnes sérieuses. Un triage s’impose et ce sera l’objet d’une série d’articles où tous les volumes seront passés successivement en revue. (…)

P. BRUNO.
Romans-Revue, 15 janvier 1910

 

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