Publié par Librairie Et Caetera 33830 Belin-Béliet
Phénix, colibris et regains divers... par Annie
Phénix, colibris et regains divers : Des mythes à la réalité, pour en finir avec les illusions, la tristesse, et le déni par Annie Montrichard, la ferme des bleuets Belin-Béliet
"Et la vie reprend ses droits..." Ces jours-ci cette phrase fleurit abondamment sur les bords de chemins des réseaux sociaux, en compagnie de photos où l'on peut admirer la verdure toute nouvelle d'une touffe d'herbe ou d'une fougère réapparaissant au milieu du noir charbon de bois. La vie reprend ses droits, est-ce une phrase galvaudée, ou une phrase justifiée ?
La vie reprend ses droits... Bon d’abord on ne s'emballe pas, pour le moment il s'agit principalement de touffes de molinie, une graminée typique de la lande humide, poussant en "touradons" qui lui permettent de résister à de fortes variations de niveau de la nappe mais aussi la rendent capable de survivre au feu ; elle est bien connue des anciens pour sa capacité à le propager, d'ailleurs, à la saison sèche, lorsque, jaunie et pailleuse, elle fait ressembler notre lande à une "savane". La molinie fait partie des pyrophytes, ces végétaux adaptés aux incendies, donc nulle surprise de la voir réapparaitre en premier sur les photos... Et puis on voit aussi des crosses de fougère aigle qui sortent du sol cendreux ou noir, faisant fi de la disparition de la matière organique, et pour cause, ses rhizomes souterrains très importants et très résistants lui conférant une résilience à toute épreuve ; sa capacité de propagation, que l'usage du rouleau landais a massivement favorisée ces dernières décennies, segmentant ses rhizomes en autant de boutures racinaires, lui ont permis de coloniser des zones autrefois peuplées majoritairement de bruyères.
Mais la fougère aigle est loin d'être un indicateur de forte biodiversité... et quant à la molinie, le fait qu'elle soit adaptée au feu n'implique pas que toutes les plantes qui l'accompagnent souvent dans la lande humide s'en sortent aussi bien ; loin de là. Avant de voir renaître la flore du Gat mort, ou du lac du Bousquey , avec la diversité qu'on leur a connue, au complet, l'eau de la Leyre va couler sous les ponts quelques années ; voire quelques décennies en ce qui concerne la faune.
Car, et même si les dégâts sur faune engendrés par des feux rapides et limités sont loin d’être négligeables, les incendies que l'on vient de connaître n'ont pas grand-chose à voir avec un écobuage à but de fertilisation rapide, ni avec un brûlis dirigé destiné à la régénération de la végétation. Ils n'ont rien à voir non plus avec la plupart des incendies accidentels que nous avons connus auparavant. Leur intensité, leur force, leur surface, leurs caractéristiques, et leur durée, toutes les reprises incluses, font que, non seulement quasiment toute la faune sauvage a été détruite (il n'y a quasiment que les grands mammifères, sangliers, chevreuils, cerfs, renards, et quelques oiseaux, qui ont eu une petite chance de se sauver du brasier), et également une bonne partie de la végétation, mais aussi, malheureusement, l'humus, le sol, et parfois le sous-sol, dans les endroits tourbeux, et encore davantage lorsque du lignite est présent. Ce petit détail qui n'a l'air de rien, car nous n’avons pas entendu le cri des champignons immobiles, des bactéries, ni des collemboles lorsqu'ils ont flambé, et que personne ne les a photographiés avec les pattes brulées, c'est le détail qui tue pour longtemps. Le sol est mort. La matière organique tombée ou déposée sur ce sol brulé en profondeur ne se décompose pas, ne se fragmente pas, aucun élément minéral n'en sera extrait par les décomposeurs disparus, et aucune nourriture ne sera donc disponible d'ici longtemps pour les plantes. Celles qui s'en sortiront et recoloniseront rapidement les lieux sont celles qui ont un moyen de résistance ; touradons pour la molinie bleue, rhizomes pour la fougère aigle, arbustes ayant de fortes capacité de rejet, ou bien des plantes colonisatrices, les mêmes que celles qui commencent à faire vivre, au départ, un sol nu (lichens, mousses...) On peut imaginer que certaines graminées à fort rhizomes repoussent également rapidement, ainsi que des plantes ayant des réserves souterraines très importantes : Phytolaque, etc.…Et oui, les espèces invasives pourraient bien tirer profit de la catastrophe, car elles sont généralement, par définition, très bien équipées pour résister, s'adapter, pousser en toutes circonstances, se multiplier rapidement, etc. Les premiers rejets d'arbres que l’on voit apparaitre sont ceux de « l’acacia", le robinier faux acacia, arbre d'origine américaine, capable d'émettre des racines traçantes extrêmement énergiques et des rejets bien loin de l'arbre mère, ainsi que de fixer lui-même l'azote atmosphérique, donc de vivre en sol très pauvre.
Aucune nourriture pour les plantes, la microfaune du sol disparue, ça veut dire pas de nourriture non plus pour les insectes et autre petite faune chargée du nettoyage (escargots, limaces, etc.). Pas d'insectes, pas d'oiseaux, pas de lézards… Pas d’insectes, pas de gros insectes prédateurs, pas de chauves-souris, pas de micromammifères. Car on en revient toujours à l’équation de base : seules les plantes sont autotrophes, c'est à dire capables de fabriquer leur propre matière organique à partir de sels minéraux et à aide de l’énergie du soleil. Les animaux, super-prédateurs compris, sont par contre dépendants de la flore pour fabriquer leur matière organique pour vivre). Sans compter leur rôle d'enrichissement de l’air en oxygène, sans lequel nous autres êtres vivants, serions bien embêtés pour respirer, les plantes sont donc la base de la création de matière organique. Sans elles, l’absence des complexes capables de conférer au sol une meilleure capacité de rétention en eau et en sels minéraux, l’absence des racines et les radicelles qui facilitent le passage de l'eau dans le sol, vont également poser des problèmes au sol pour se réhydrater correctement. Tout cet ensemble structurel et organique ne pourra être regagné que par les bordures non brulées (mais la surface est immense…), et avec le temps. Rien ne sert de croire en la magie, et mieux vaut regarder l’avenir avec sang-froid, les gens de mon âge ne verront peut-être jamais le retour de l'avifaune forestière diversifiée ou de la richesse en chiroptères au cœur des zones brulées les plus vastes. La vie reprendra ses droits, oui, mais avec du temps, beaucoup de temps, et des étapes, temporaires ou finalement définitives. Les publications qui documentent l'expérience de feux importants ayant fait disparaître l'humus, en zone tempérée, ne donnent pas trop le moral, mais mieux vaut être au courant de ce qui nous attend, et aussi être capables d'observer et de documenter à notre tour comment va se passer cette régénération. Car ...
Le temps, le temps... Mais combien en a-t-on, du temps ? Il y aura d'autres incendies géants, ici ou ailleurs en Europe, en France, la seule inconnue est quand et où.
Y aura-t-il d'autres feux ici avant que "la vie qui reprend ses droits" ait réussi à s'auto-réparer de cet incendie-là ? Si plusieurs feux se succèdent avant que la régénération ne soit complète, nous courront le risque de voir et de devoir accepter une régression des séries de végétation, qui se régénèreront incomplètement, comme c'est malheureusement de plus en plus le cas en région méditerranéenne, avec la disparition de la forêt de chênes au profit d'un résineux plus rapide à se régénérer (mais qui brule plus facilement !!). C'est sans doute ce que nous devons éviter à tout prix.
Conserver nos feuillus, les aider à se régénérer jusqu’à la fin du cycle, une forêt adulte avec toute sa faune et sa flore associée, est prioritaire, d’autant que les feuillus brûlent indéniablement moins facilement. Car si on observe globalement une progression de la "forêt" en France, il s’agit surtout de progression des monocultures de résineux, aux dépends des feuillus, des prairies et pâtures, des zones humides, quelquefois des cultures, et de la diversité, ce qui n'a pas du tout le même intérêt en terme de résilience, de biodiversité, de climat, de régénération des sols, etc.
La vie reprend ses droits ? Et bien laissons la donc faire ! Elle sait ce qu'elle fait, et sèmera ce qu'il faut là où il faut.
Ah oui, au fait : semer... c'est ce que faisait "l’homme qui plantait des arbres". Car on a aussi vu refleurir, en plus des phénix et des métaphores de colibris, la nouvelle de Giono, et les thématiques qui lui étaient chères. Ce n'est sans doute pas un hasard d'ailleurs, si nous en sommes, un siècle plus tard, à devoir adopter les points de vue d'un homme du Sud né cent ans plus tôt. Nous nous acheminons vers des problématiques climatiques auxquels les gens de l'époque et de la région de Giono étaient confrontés avant nous. Or, l'homme qui plantait des arbres ne les plantait pas, il ne faisait pas appel à une pépinière, ne collait pas un petit tas d’engrais au pied de ses protégés, ne les protégeait pas de la dent des herbivores. Il les semait. Un tas de semences facilement transportable dans son sac, dans sa poche, il semait, semait, semait. La forêt qui a succédé à cet homme allégorique a eu des racines directement implantées dans son substrat, elle est solidement arrimée et capable de s'alimenter en eau du mieux possible. Elle a poussé dur et a contenu un sous-bois broussailleux, que les herbivores ont utilisé pour leur alimentation et leur refuge. Les anciens avaient dans certaines régions du Sud de la France une façon bien à eux de planter une haie : Couper des branches sur une haie existante, les entasser en andains, attendre. Il ne se passe pas tellement d'années avant que les ronces et autres aient envahit l'andain, amélioré le microclimat plus frais plus humide, favorisé l'avifaune qui l’utilise comme refuge et alimentation (donc sème d'autres grains), et permis que des arbres et arbuste poussent à travers cette protection et fournissent une belle haie diversifiée, qui s’enrichira encore peu à peu, au fil des années. Oui les mythes, les légendes, les histoires, et l’Histoire, nous sont indispensables pour nous sortir d'affaire et aussi pour survivre, mais à condition de comprendre ce qu’ils veulent nous raconter au second degré. S’arrêter à croire à la magie de leur sens littéral et du "pied de la lettre" ne nous mènerait pas bien loin.
Voilà donc ce que le Phoenix, le regain et le colibri m’ont évoqué ces dernières semaines. Espérant par ces quelques phrases avoir semé de petites graines à penser dans quelques esprits, je vous souhaite bonne nouvelle vie dans notre nouvelle forêt à l'odeur de cendrier froid, de cheminée humide, et aussi de lire beaucoup de livres, de vrais livres qui parlent de la forêt, de la vie des arbres, et de tous ceux qui leur doivent leur existence ; parmi ceux-ci, Homo sapiens sapiens.
Annie Montrichard - La ferme des bleuets à Belin-Béliet